Ankara et Pékin profitent du retrait français
**Introduction : Un tournant historique pour le Tchad**
Fin novembre 2024, un événement retentissant a marqué l’histoire contemporaine du Tchad : le Président, le Maréchal Mahamat Idriss Déby, a annoncé la fin de l’accord de coopération militaire avec la France. Cette décision, qui pourrait sembler anodine à première vue, revêt en réalité une importance capitale tant sur le plan régional que mondial. Les relations entre Paris et N’Djamena ont jusqu’ici été solidement ancrées dans un passé colonial et dans une coopération militaire étroite. Le retrait des troupes françaises, qui occupaient une position clé dans la région du Sahel, ouvre la voie à une réévaluation des alliances géopolitiques et à un repositionnement stratégique. La France, avec sa présence militaire séculaire, voit ses intérêts contestés dans une région jadis considérée comme son pré carré. Ainsi, ce retrait n’est pas qu’une perte pour Paris ; c’est aussi l’occasion pour d’autres puissances, telles que la Turquie et la Chine, de s’affirmer comme des acteurs incontournables dans la redéfinition des relations en Afrique. Ce changement de paradigme, cet éloignement des anciennes puissances coloniales, se traduit par une nécessité pour le Tchad de naviguer habilement entre ces nouvelles dynamiques de pouvoir.
La Turquie, un nouveau partenaire stratégique
La Turquie, sous la direction d’Ankara, n’a pas tardé à saisir cette opportunité exceptionnelle pour renforcer ses relations avec N’Djamena. En effet, de nombreux accords militaires ont été signés entre les deux pays, révélant une ambition de la Turquie de s’établir comme un acteur clé en Afrique. En fournissant des équipements militaires modernes et en s’engageant à former les forces armées tchadiennes, la Turquie aspire à accroître son influence dans la région et à défier la domination historique de la France.
Un article publié le 28 décembre 2024 par le quotidien turc Türkiye Gazetesi rapportait les propos forts du Président tchadien : « L’Afrique a déclaré la guerre à la mentalité coloniale. Le gouvernement tchadien, qui enverra les soldats français d’ici le 31 janvier, renforcera sa coopération avec la Turquie. » Cette affirmation souligne un tournant dans la perception de la coopération militaire, désormais vue comme une opportunité pour renforcer la souveraineté nationale.
Les accords militaires signés entre le Tchad et la Turquie ne sont pas qu’un simple transfert technique. Selon le même journal, le Tchad a reçu depuis 2023 une panoplie de matériel militaire, notamment des avions d’attaque légers HÜRKUŞ-C, des drones AKSUNGUR et ANKA-S, ainsi que des munitions intelligentes et des missiles guidés. Ces nouveaux équipements témoignent d’un engagement stratégique fort de la part de la Turquie, désireuse de prendre de l’ampleur dans les affaires militaires du Tchad.
La Chine, un géant économique en quête d’influence
Parallèlement, la Chine affûte ses armes et intensifie sa stratégie d’expansion à travers l’Afrique. Grâce à d’énormes investissements dans les infrastructures, l’énergie et les ressources naturelles, Pékin s’impose progressivement comme un partenaire de choix pour de nombreux pays africains, y compris le Tchad. En s’associant avec le gouvernement tchadien, la Chine n’aspire pas seulement à sécuriser ses propres intérêts économiques, mais également à renforcer son influence géopolitique croissante sur le continent.
Lors du Forum Chine-Afrique en septembre 2024, le Maréchal Mahamat Déby a signé six accords ambitieux avec des entreprises d’État chinoises telles que CMEC, CAMCE, et CGCOC. Ces accords portent sur des projets dans divers secteurs clés, des infrastructures à la défense, en passant par l’agriculture. Par exemple, l’amélioration de l’accès à l’électricité et à l’eau potable à N’Djamena est un projet emblématique de cette coopération. De plus, la construction d’un nouvel aéroport international et le développement de réseaux d’égouts pour prévenir les inondations récurrentes témoignent de l’impact positif de ces efforts de collaboration.
Les communications officielles de la présidence tchadienne mettent en avant cette dynamique de coopération gagnant-gagnant entre le Tchad et la Chine, reflétant une vision partagée d’un futur prometteur. « Ces accords démontrent l’importance stratégique de notre partenariat avec la Chine, tant pour la sécurité que pour le développement économique du Tchad », a souligné la présidence. Ces mots résonnent comme une promesse d’avenir, une vision commune pour le développement durable du pays.
La France, un acteur en retrait ?
Face à cette évolution dynamique, la France, l’ancienne puissance coloniale, se retrouve à une croisée des chemins. Avec une défiance croissante de la part de nombreuses populations africaines, Paris est contraint de réexaminer sa stratégie sur le continent. Le retrait du Tchad s’inscrit dans une volonté de réorientation de la politique française en Afrique, bien qu’il ne signifie pas un abandon total de la région.
Consciente de la nécessité de maintenir une forme d’influence, la France se concentre désormais sur des projets de coopération civile, visant à établir des relations basées sur le respect mutuel et l’égalité. Toutefois, le défi demeure : comment rétablir une légitimité et une confiance dans un contexte où de nouveaux acteurs émergent avec des propositions alléchantes ?
Les enjeux pour le Tchad
Pour le Tchad, cette transformation du paysage géopolitique s’accompagne d’opportunités palpables. Les investissements turcs et chinois pourraient offrir des ressources considérables pour moderniser le pays et diversifier son économie. Cependant, ce nouvel équilibre ne vient pas sans défis. Le Tchad doit manœuvrer avec soin pour éviter de se retrouver piégé entre les ambitions concurrentes de grandes puissances. Préserver sa souveraineté tout en établissant des relations bénéfiques est crucial pour son développement futur.
Critique et perspectives d’avenir
Cette hype autour des nouveaux partenariats avec la Turquie et la Chine soulève néanmoins des questions. Si ces collaborations promettent des bénéfices économiques, elles présentent aussi des risques. En particulier, la dépendance accrue envers des acteurs étrangers pourrait s’avérer problématique. Quid de la capacité du Tchad à faire entendre sa voix sur la scène internationale ? Les projets d’investissement doivent inclure des mesures garantissant que les ressources restent au service des Tchadiens et non au profit des puissances étrangères.
Des solutions constructives
Le Tchad pourrait envisager de renforcer les capacités locales et de favoriser la formation et le transfert de technologie, afin de construire une base solide pour le développement. Organiser des consultations avec les communautés locales et promouvoir des projets basés sur les besoins réels des populations serait un coup de pouce stratégique. Un développement inclusif doit être au cœur des choix politiques, garantissant que l’avenir du Tchad ne soit pas seulement l’affaire des gouvernants, mais aussi celle du peuple.
Conclusion : Vers de nouveaux horizons
En conclusion, le retrait de la France du Tchad ne constitue pas simplement un tournant dans les relations internationales, mais représente un moment charnière pour le pays. La compétition acharnée entre la Turquie et la Chine pour gagner les faveurs de N’Djamena promet non seulement de redéfinir les équilibres politiques en Afrique centrale, mais également d’ouvrir la voie à un Tchad qui pourrait, enfin, revendiquer une voie de développement autonome. La capacité du pays à tirer parti de ces nouvelles dynamiques sera essentielle pour son avenir. L’histoire du Tchad est en cours de réécriture, et chaque acteur a un rôle à jouer dans cette vaste fresque géopolitique. Il appartient maintenant au Tchad de tracer son propre chemin dans cette articulation complexe des forces à l’œuvre.