comprendre la victoire du MPS aux législatives 2024
Les Élections Tchadiennes de 2024 : Une Étape Cruciale ou un Faux Semblant ?
Introduction : Un tournant pour le Tchad ?
Le 29 décembre 2024 marque une date fondamentale dans l’histoire politique du Tchad. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, le pays a organisé ses élections parlementaires, régionales et municipales. Dans un contexte d’incertitude politique exacerbée par la mort de l’ancien président Idriss Déby Itno en 2021, le Tchad semblait enfin prêt à tourner la page d’une longue période de transition. Cependant, la promesse d’un changement démocratique est confrontée à une réalité complexe. Une simple statistique suffit à illustrer ce paradoxe : sur 18 millions d’habitants, seuls 8,3 millions de Tchadiens étaient inscrits pour voter, un reflet inquiétant des divisions persistantes au sein de la société. Depuis le décès de Déby, le pays a navigué entre espoir et désillusion, mettant en lumière une transition qui suscite des interrogations quant à son caractère inclusif et équitable.
Une Décennie de Retards Démocratiques
Les élections du 29 décembre viennent clore une période déjà trop longue d’attente pour le peuple tchadien. Les scrutins, longtemps reportés, ne résultaient pas uniquement d’un climat instable, mais aussi de préoccupations politiques profondes concernant la sécurité. Avec l’une des populations les plus pauvres d’Afrique, le Tchad est aux prises avec des défis étendus, notamment des conflits régionaux incessants, une insurrection violente et une fragilité politique persistante.
À la suite de la mort d’Idriss Déby, une transition tumultueuse a été initiée pendant laquelle son fils, Mahamat Idriss Déby, a pris le pouvoir via un coup militaire controversé. En apparaissant tout d’abord comme le chef d’une transition nécessaire, Mahamat Deby a vu son autorité renforcée à la suite de l’élection présidentielle de mai 2024, alors que les élections législatives étaient perçues comme une étape essentielle vers des réformes démocratiques tant attendues.
Un Paysage Politique Fragmenté
Dans ce contexte, les élections de décembre étaient attendues avec impatience par certains, mais redoutées par d’autres. Le scrutin a été marqué par l’inscription d’environ 8,3 millions d’électeurs sur une population totale de 18 millions. Cela soulève immédiatement des questions sur l’adhérence de la population au processus démocratique mis en place. L’Assemblée nationale du Tchad, qui comportait 188 sièges, s’apprêtait à élire ses représentants. Cependant, le processus électoral a été sérieusement compromis par le boycott des principaux partis d’opposition, en particulier le parti Les Transformateurs, qui a dénoncé des élections qu’il considérait comme ni libres ni équitables.
Le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), au pouvoir depuis 1996 et dirigé par Mahamat Zen Bada Abbas, a dominé la scène politique. Malgré un éventail de plus de 100 partis, et environ 1 100 candidats en lice, le MPS et ses alliés ont maintenu en grande partie un contrôle sur le Parlement. Leur coalition avec d’autres formations politiques, comme le Rassemblement pour la Démocratie et le Progrès (RDP), leur a permis de consolider leur emprise considérable sur le paysage politique.
Certains partis, tels que l’Union Nationale pour la Démocratie et le Renouveau (UNDR) et le Rassemblement National des Démocrates Tchadiens (RNDT), bien que légitimement enracinés dans le passé politique du Tchad, n’ont pas réussi à s’imposer face à la domination établie du MPS. La division interne au sein de ces partis a également limité leur poids politique et leur capacité à proposer une alternative crédible.
Un Contexte de Sécurité Préoccupant
Les élections se sont déroulées sur fond de graves préoccupations sécuritaires. La guerre qui ravage le Soudan voisin a déstabilisé la frontière orientale du Tchad, tandis que l’insurrection de Boko Haram continue de frapper des régions du pays autour du lac Tchad. De plus, la récente décision du Tchad de mettre fin à un accord militaire avec la France, un ancien partenaire stratégique, a complété ce tableau instable.
Des observateurs des droits humains ont fait part de leur inquiétude quant à la inclusivité du processus électoral. L’exclusion manifeste des partis d’opposition a jeté une ombre sur la crédibilité des élections. Isa Sanusi, directeur national d’Amnesty International pour le Nigeria, a souligné que "sans inclusivité, il sera difficile d’organiser des élections crédibles". Ce constat résonne d’autant plus fort dans un pays dont l’histoire politique a été marquée par l’autoritarisme et la répression.
Des Élections Entachées par des Allégations de Fraude
Les élections de décembre 2024 ont suivi un référendum controversé en décembre 2023 qui avait adopté une nouvelle Constitution, une manœuvre souvent interprétée comme une tentative d’asseoir le pouvoir de Mahamat Deby. Les critiques ont dénoncé cette approche comme une stratégie visant à légitimer la prise de pouvoir dynastique des Déby, plutôt que de constituer une avancée réelle vers une gouvernance démocratique.
La méfiance de l’opposition ne se limite pas seulement à ces nouvelles réformes, mais trouve également ses racines dans des tragédies passées telles que l’assassinat de Yaya Dillo, un membre oppposant du Parti Socialiste Sans Frontières (PSF) en février 2023. Cette tragédie a exacerbé les craintes de répression politique, alimentant les accusations de violations des droits humains et de mauvais traitements au sein de la tristement célèbre prison de Koro Toro, où de nombreux membres de l’opposition sont toujours enfermés.
La victoire de Mahamat Deby lors de l’élection présidentielle de mai 2024, où il a récolté 61,3 % des voix, a encore creusé les clivages. Les allégations de fraude électorale et de muselage de la dissidence résonnent encore une fois à travers le pays. Succes Masra, le principal rival et leader des Transformateurs, a accusé le gouvernement de miner les efforts de l’opposition et a choisi de quitter son poste de Premier ministre pour se concentrer sur son rôle d’opposant.
Résultats Préliminaires et Réactions de l’Opinion Publique
Les résultats publiés par la Commission électorale tchadienne le 11 janvier 2025 ont confirmé une victoire sans appel pour le MPS, remportant 124 des 188 sièges de l’Assemblée nationale. Bien que le MPS présente ces élections comme un pas vers la démocratie, le taux de participation relativement modeste de 51,56 %, associé aux boycotts généralisés de l’opposition, soulève de sérieuses questions sur la légitimité du processus électoral.
Les partis d’opposition ont immédiatement rejeté ces résultats, pointant du doigt les irrégularités présumées et la nature exclusive du processus électoral. Les critiques insistent sur le fait que ces élections renforcent la perception d’une dynastie politique autour de la famille Deby au lieu d’annoncer un progrès démocratique véritable.
Perspectives d’Avenir : Que Faire pour Rétablir une Démocratie Incluante ?
Pour tracer un chemin vers une véritable démocratie, le Tchad doit se pencher sur plusieurs aspects critiques. Tout d’abord, la réconciliation nationale doit devenir une priorité. Les décisions politiques doivent être prises dans un esprit de consensus, incluant toutes les parties de l’échiquier politique. Le dialogue avec l’opposition, aussi conflictuel soit-il, est essentiel pour rétablir la confiance et bâtir un système politique inclusif.
Ensuite, la transparence des processus électoraux doit être assurée. L’implication d’observateurs internationaux et le renforcement des organes de contrôle indépendants aideront à garantir la crédibilité des scrutin futurs. L’éducation des électeurs sur leurs droits et responsabilités peut également favoriser une plus grande participation civique.
Enfin, la communauté internationale doit jouer un rôle actif dans la promotion du respect des droits humains et de la démocratie au Tchad. Les États et les organisations internationales peuvent apporter leur soutien par des moyens diplomatiques en cas de violations avérées des droits humains, mais aussi par des programmes de développement local qui peuvent contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations les plus vulnérables.
Conclusion : Une Appel à l’Espoir et à la Mobilisation
L’avenir politique du Tchad reste incertain après les élections de décembre 2024. Bien que des pas aient été faits vers l’organisation de consultations démocratiques, la remise en question de leur intégrité représente un obstacle majeur. Les défis structurels, l’instabilité régionale, et l’exclusion politique persistent, mais ils ne devraient pas étouffer l’espoir d’un changement significatif.
Il est essentiel pour toutes les parties prenantes de continuer à œuvrer pour un Tchad plus inclusif et démocratique, où chaque voix compte. Le chemin vers la démocratie est semé d’embûches, mais il n’est pas impossible. En unissant leurs forces, les Tchadiens peuvent espérer bâtir un avenir où les droits de tous sont respectés et où le processus démocratique est véritablement inclusif. C’est dans cette aspiration commune que réside le véritable potentiel de changement pour le Tchad.