dans l’historique du carburant frelaté de l’Extrême-Nord
### Introduction
Au cœur des tumultes économiques et politiques des années 1980 au Nigeria, un phénomène a émergé, façonnant l’économie informelle et les modes de vie de millions de personnes dans la région. À cette époque, alors que le Nigeria, principal producteur de pétrole d’Afrique, voyait ses infrastructures de raffinage s’effondrer sous le poids de la négligence, un carburant alternatif a commencé à faire son apparition : le « Zoua-Zoua ». Ce combustible, issu de raffineries artisanales, illustre les conséquences d’un système en crise. L’impact du « Zoua-Zoua » sur la vie quotidienne et l’économie de l’Extrême-Nord du Cameroun est à la fois fascinant et alarmant, révélant des couches de complexité et d’interdépendance à l’intersection de l’économie formelle et informelle.
### L’Origine du Zoua-Zoua
Dans un Nigeria où les raffineries, souvent vétustes et mal entretenues, produisaient un pétrole de mauvaise qualité, un besoin urgent a vu le jour. Alors que les ressources conventionnelles de carburant devenaient rares, des entrepreneurs, cherchant à profiter d’un marché en crise, ont commencé à raffiner artisanalement des hydrocarbures. Ce nouveau produit, bien qu’imparfait, a été vendu à des prix défiants toute concurrence sur les marchés locaux.
Rapidement, la situation a évolué. Le « Zoua-Zoua », comme il a été nommé, a franchi les frontières du Nigeria vers le Cameroun, offrant une solution à une région lointaine où l’accès à des carburants propres et abordables était limité. Cette dénomination, reflet d’un produit brut et souvent dangereux, a trouvé un écho positif parmi la population racontant l’histoire d’une survie face à la crise.
### Une Demande Croissante
Au fil des années, la demande pour le « Zoua-Zoua » est devenue exponentielle, surtout dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Enclavée et distante des principaux circuits d’approvisionnement, cette région a vu son économie se transformer, l’engendrant dans une dépendance croissante envers ce carburant alternatif. Les réseaux de contrebande, bien que clandestins, sont devenus des piliers de l’économie locale, intégrant tant des acteurs locaux que transnationaux.
Dans les années 2000, la situation s’est encore intensifiée. Les crises économiques au Nigeria ont entraîné une explosion de la production et de la demande de ce carburant de fortune. Pourtant, cette prospérité s’accompagnait de tensions croissantes, poussant les autorités camerounaises à mettre en place des mesures pour contrer ce phénomène.
### Les Efforts des Autorités
Face à la croissance du marché noir du « Zoua-Zoua », les autorités camerounaises n’ont pas hésité à multiplier les contrôles à la frontière. Les actions de répression visant les commerçants de carburant frelaté ont augmenté, espérant quoi que ce soit freiner ce commerce illégal. Cependant, la pauvreté omniprésente et l’absence d’alternatives économiques faisaient souvent échouer ces efforts. La route de l’illégalité était pavée d’opportunités, ce qui permettait au marché noir de prospérer à nouveau sans relâche.
### Un Terreau Fertile pour le Marché Noir
L’Extrême-Nord du Cameroun se distingue comme l’une des régions les plus pauvres du pays, victime d’une agriculture de subsistance précaire, couplée à des changements climatiques récurrents. Le manque d’infrastructures de base, combiné à une insécurité alimentaire renouvelée en raison des conflits armés, a laissé cette population confrontée à un seul choix : différencier son économie par tous les moyens, y compris le « Zoua-Zoua ».
Les consommateurs, désespérant de trouver des sources d’énergie appropriées, se tournent régulièrement vers cette alternative. Le carrefour entre sécheresse, instabilité et absence d’emplois intitulait le « Zoua-Zoua » comme la solution économique, bien que douteuse. D’un côté, il offrait des prix défiant toute concurrence; de l’autre, il faisait peser le risque d’une dégradation économique à long terme.
### Les Effets sur l’Économie Locale
Le « Zoua-Zoua », malgré ses défauts notables, a su maintenir un semblant d’activité économique dans cette région déconnectée des ressources adéquates. Il est devenu une bouée de sauvetage, générant des revenus pour les familles, des revenus souvent issus de cette économie informelle.
Cependant, cette réalité économique est teintée d’une ironie amère. Ce carburant, par sa piètre qualité, engendre des coûts d’entretien supplémentaires pour les véhicules et les machines agricoles, provoquant une dépendance pernicieuse à des produits qui maintiennent les utilisateurs dans un cycle économique défavorable. Chaque réparation, chaque entretien imprévu, vienne grever les maigres bénéfices qu’ils dégagent de ce commerce.
### Une Dépendance Économique Anxiogène
Le tableau économique que dresse le « Zoua-Zoua » est double. Sur le plan opérationnel, il permet de maintenir un réseau de transport indispensable et des activités commerciales vitales à bas coût. Mais à quel prix ? Les dommages aux moteurs témoignent d’une réalité plus sombre : celle d’une économie qui s’appuie sur une ressource de bas niveau, perdant en qualité ce qu’elle gagne en coût.
### Impacts Sociaux et Sanitaires
L’essor du « Zoua-Zoua » ne se limite pas aux conséquences économiques. Il engendre aussi un environnement de corruption et d’illégalité. Les jeunes, plongés dans un manque d’opportunités d’emploi, sechenchent de façon croissante à intégrer ce marché noir, entraînant ainsi des tensions accrues avec les forces de l’ordre.
Le tableau s’obscurcit davantage lorsque l’on considère les dangers liés à l’utilisation de ce carburant. L’inhalation des vapeurs toxiques n’est pas sans conséquence, frappant durement la santé des utilisateurs et de leur entourage. Dans cette région déjà fragilisée par des conflits et des crises alimentaires, la santé publique subit un coup de plus.
### Perte de Revenus pour l’État
À un niveau macroéconomique, le commerce florissant du « Zoua-Zoua » constitue une véritable saignée pour les finances de l’État camerounais. Échappant à tout contrôle fiscal, ce carburant frelaté prive l’État de revenus essentiels qui devraient servir à financer des services publics, des infrastructures, l’éducation ou encore la santé.
En d’autres termes, l’économie informelle, si elle peut sembler être une solution à court terme, fragilise les fondements même de l’État, grignotant peu à peu les capacités d’investissement dans les secteurs vitaux. Les stations-service, soumises à des normes rigoureuses et à des régulations, luttent pour survivre face à des prix de vente largement plus abordables que ceux du « Zoua-Zoua ». Cela met en péril non seulement leur existence, mais également la sécurité et la qualité de vie des consommateurs sur le long terme.
### Une Concurrence Déloyale
La concurrence déloyale posée par le « Zoua-Zoua » menace véritablement le réseau de distribution formel de carburant. Alors que les stations légales s’efforcent de répondre aux exigences et de maintenir des prices en adéquation avec leurs coûts d’exploitation, elles voient leur clientèle se réduire peu à peu, délaissant la légalité pour un mélange d’ingénuité et de tarifs bas.
Cette logique peut donc pousser les stations-service à la fermeture, créant une spirale économique auto-aggravante où s’effacent les standards de qualité des carburants disponibles. Sur le long terme, l’absence de structures solides de distribution peut mener à un appauvrissement des choix offerts aux consommateurs, été rendant la région encore plus vulnérable à l’informalité.
### Perspectives Alternatives
Face à une telle situation, comment envisager une issue honorable ? Il serait crucial que les gouvernements et les organismes humanitaires autant que les acteurs privés envisagent des alternatives viables pour soutenir une région particulièrement précaire. Des programmes de sensibilisation au combustible alternatif, à la fois accessible en termes de prix et respectueux de l’environnement, doivent être encouragés, tout comme le soutien à des projets d’infrastructure pour faciliter l’accès au marché formel.
Investir dans des programmes de formation pour les jeunes et des initiatives d’économie sociale pourrait contribuer à casser l’emprise du marché noir. Des mesures de régulation strictes doivent être mises en œuvre pour renforcer les services de taxation, permettant ainsi de capter une part de la richesse engendrée par ces échanges illégaux.
### Conclusion
Le parcours chaotique du « Zoua-Zoua » met en lumière les réalités complexes et souvent tragiques d’une économie de survie soumise aux fluctuations d’une régulation inexistante. Bien que ce carburant réponde en partie aux besoins immédiats de la population de l’Extrême-Nord du Cameroun, il soulève des questions cruciales sur la durabilité de ce modèle basé sur l’informalité.
Les Lewans de l’état – instaurant des politiques réfléchies, un dialogue permanent avec les communautés locales et l’engagement envers des infrastructures durables, ont le potentiel de relancer une économie qui ne s’accroche pas à des solutions temporaires mais qui aspire à un développement à long terme. C’est un appel à l’action pour les décideurs, mais également pour la société civile, un appel à sortir de l’ombre de l’informalité vers des solutions éclairées et durables pour tous.
Ce reportage a été réalisé grâce à une subvention accordée par le projet « Investigative Reporting Workshop for Journalists in Cameroon », mis en œuvre par la Cameroon Association of English-Speaking Journalists (CAMASEJ) et financé par l’ambassade des États-Unis à Yaoundé.