Edito : Les Tchadiens auraient aimé voir une colère de Goré, une colère de Lam ou une colère de Léo…
Alors que les populations du sud du Tchad comptaient leurs morts, le président de transition semblait être déjà en campagne électorale. Plutôt que de chercher à imiter son prédécesseur, Mahamat Idriss Déby pourrait envisager une approche plus en phase avec les réalités actuelles. Les Tchadiens souhaiteraient que ce mimétisme se matérialise à travers ce que le défunt maréchal avait de mieux, c’est à dire à travers un engagement sans faille lorsque des vies tchadiennes étaient menacées par des forces extra frontalières.
Le mimétisme de Mahamat Idriss Déby se limiterait-il juste au faste et à la mondanité ? Car disons-le clairement, il fait tout comme son prédécesseur… mais juste dans les salons feutrés du pouvoir, sous les ors des candélabres des palais. Quand on observe le Président de transition, on constate l’envie de ressembler à celui qui l’a précédé. À travers son code vestimentaire ou cette compulsion du voyage. Mais la ressemblance s’arrête là. Le miroir n’a plus de reflet, devient comme une vitre sans teint lorsqu’il s’agit de sortir des mondanités et de se soucier de ses compatriotes comme l’ancien Président de la République le faisait lorsque des Tchadiens subissaient une agression venue de l’étranger. Sans se poser de questions, il est allé du côté de Bohoma en mars 2020 suite à une attaque meurtrière de Boko Haram ou encore (de manière fatale cette fois) lorsque le territoire national était menacé par des groupes armés en avril 2021.
Colère de Bohoma
Les Tchadiens auraient aimé voir une colère de Goré, une colère de Lam ou une colère de Léo, du nom de ces localités du sud du pays ayant enregistré des morts suite à des attaques vraisemblablement d’origine extra frontalières. En lieu et place du côté volontaire et fougueux du père, l’actuel président s’est contenté d’une décision militaro-administrative prise sur un coin de bureau.
Le rôle d’un président n’est bien évidemment pas d’aller constamment sur des zones à risque, mais il a cette obligation symbolique, en tant que magistrat suprême du pays, de soutenir ses concitoyens en allant à leur rencontre dans ces situations de deuil ou en posant des actes forts (à l’instar de l’opération “Colère de Bohoma”).
Sandana, dans le Moyen-Chari, 12 morts le 9 février 2022, Léo, dans la Kabbia, plus de 20 morts le 10 août 2022, Danamadji, encore dans le Moyen-Chari, 6 morts le 16 mai 2023, Monts de Lam, dans le Logone oriental, plus de 50 morts durant le mois de novembre 2022 et en avril/mai 2023, Goré, toujours dans le Logone oriental, plus de 30 morts en mai 2023, … Jusqu’à quand les Tchadiens continueront-ils à égrainer leurs morts sans réaction franche et dissuasive de l’État ? Quand est-ce que le Président de transition, dont la prise de pouvoir en avril 2021 avait été saluée par certains observateurs car elle a évité au Tchad de plonger dans une guerre qui pointait, se mettra-t-il à la hauteur des attentes légitimes de la population, celle-là même qu’il a courtisée lors de ses voyages en province ?
Un roi fainéant ?
Serait-il victime du syndrome des “Rois fainéants” ? Vous savez, ces monarques de la dynastie mérovingienne qui ont succédé au grand roi Clovis (celui qui a unifié la Gaule et lui a donné son identité franque durant la fin du Xe siècle et le début du XIe siècle). Ces mêmes rois qui ne gouvernaient plus, mais laissaient d’autres gouverner à leur place. Ils ont tout simplement galvaudé l’héritage politique, social et culturel de Clovis et sonné le glas du legs dynastique. Ce constat souligne que le manque d’implication dont fait preuve Mahamat Idriss Déby déçoit.
Si IDI est devenu au fil des années notre Frank Underwood (tantôt populiste, tantôt guerrier, tantôt homme de poigne), il le devait à son vécu de Tchadien lambda. Un avantage que Mahamat Idriss Déby n’aura jamais, lui qui a grandi dans une certaine opulence matérielle. Le défunt maréchal avait pour lui son enfance passée à courir derrière les dromadaires dans son Ennedi natal, ses années d’écolier entre Biltine, Faya, Abéché et Bongor, sa formation militaire à N’Djaména, sa vie sociale entre Mardjandafack et Farcha, ses années d’étudiant en France et surtout son engagement dans le maquis des FANT. Cet itinéraire de vie a forgé Idriss Déby Itno et a façonné le politicien qu’il était.
À ce titre, Mahamat Idriss Déby ne sera jamais Idriss Déby Itno, soyons clairs. Mais s’il doit l’imiter, je vous en prie, qu’il le fasse pour le meilleur et non pour le pire, au risque de scier la branche sur laquelle repose son pouvoir.
Chérif Adoudou Artine