N’Djamena-Guélendeng, 5 heures pour parcourir 150 km
Une fin de matinée plutôt calme à la capitale. Des passagers embarquent à bord d’une Toyota hard-top. Destination, Bongor au sud du pays. La voiture s’est péniblement frayée un chemin dans les embouteillages du rond-point du pont à double voie pour amorcer la route nationale. Au bout d’une bonne course de quelques dizaines de kilomètres, la peine est décuplée. L’automobile roule à peine 30 kilomètres l’heure. Elle tombe dans les infinies crevasses et inclinaisons qui menacent de la renverser. Les passagers, violemment, se cognent les têtes les unes contre les autres. A certains endroits, la couche d’asphalte est totalement absente. En hivernage, les véhicules s’y embourbent, informent certains voyageurs. Mieux, nous sommes en saison sèche. Les conducteurs redoublent alors de vitesse. Ici, il n’y a pas de priorité. Chaque conducteur, essaie, dans une totale pagaille, de doubler les autres. Un épais nuage de poussière oblige à allumer les phares, ou à marquer un arrêt pour avoir une bonne visibilité avant de continuer le voyage. Seuls les conducteurs des agences express, visiblement maîtrisant cette route, doublent tout le monde. Pendant ce temps, les inexpérimentés contraints par la fatigue et le découragement, « marchent » presque par moments. Les passagers ont alors l’occasion d’admirer furtivement dans le ciel, les oiseaux qui viennent de s’envoler des cimes des arbres à moitié secs. Des cases aux abords de la route, fusent des mômes en guenilles réclamant des pièces d’argent parce qu’ils ont colmaté quelques nids-de poule avec des morceaux de briques.
Après trois heures de course lasse, le conducteur, comme frustré d’être dédoublé par de nombreuses autres automobiles, se lance à leur poursuite. Les passagers gémissent à nouveau de douleur, tellement la voiture retombe dans les crevasses. « On a un gouvernement bidon comme ça ! », s’emporte un voyageur. « Pourquoi tu insultes notre gouvernement », interroge une voix à côté du conducteur ? « Entre cette route et l’aéroport d’Amdjarass, c’est quoi la priorité ? », répond-il furieux. « Laisse mon frère. Nos dirigeants n’ont aucune notion de priorité. En tout cas, Amdjarass, c’est la bourgade de nos boss, c’est normal », ironise un autre d’une voix presqu’éteinte.
Vers 13 heures et demie, la chaleur devient suffocante. L’ennui, la lassitude s’intensifient. « On n’a pas encore dépassé la zone de turbulence », interroge un autre voyageur qui, depuis 5 ans, n’a pas emprunté cette route. « Grand frère, nous serons sauvés quand nous dépasserons Guélendeng », renseigne un autre. Les voyageurs, éreintés, marquent à contre-cœur une pause-prière. Les non-musulmans en profitent pour se dégourdir les jambes. Le voyage reprend après une demi-heure. Les voyageurs soupirent un soulagement autour de 16 heures lorsque, de loin, ils aperçoivent la plaque souhaitant la « bienvenue à Guelenden ». « Finie la souffrance ! », s’exalte un voyageur qui venait de se réveiller d’un sommeil en dépit de l’état de la route. Cinq heures venaient de s’écouler.