une ville nouvelle comme panacée ?
Urbanisme au Tchad : Repenser l’aménagement territorial pour un avenir durable
Introduction
L’aménagement urbanistique d’une ville n’est pas simplement une question de construction de bâtiments et d’infrastructures. C’est un processus complexe qui nécessite l’implication de divers acteurs, des politiques éclairées et une vision à long terme. Au Tchad, cette dynamique peine à se mettre en place, essentiellement à cause d’une centralisation excessive qui a écarté des acteurs locaux majeurs. Un fait peu connu, mais révélateur de cette problématique : la plupart des terrains à usage d’habitation sont vendus sans respect des normes urbanistiques. Le développement chaotique de N’Djaména, la capitale, est symptomatique d’une urbanisation mal maîtrisée. Ainsi, comment transformer cette situation pour bâtir une ville à la fois vivable et résiliente ?
Centralisation et exclusion des acteurs traditionnels
Au Tchad, le secteur de l’aménagement urbain est dominé par une centralisation bureaucratique qui a conduit à l’exclusion des chefs traditionnels, communément appelés Boulama. Ces derniers, jadis garants de l’urbanisation locale, sont désormais relegués au second plan dans la production et la vente de terrains. Cette exclusion a donné lieu à des pratiques irrégulières où les chefs traditionnels vendent leurs terrains sans respecter aucune norme d’urbanisme, étant donné qu’aucun permis de lotir n’est requis.
Cette situation a donné lieu à la création de quartiers où les terrains sont adossés les uns aux autres, souvent au sein de zones classées comme non-aedificandi. En dehors des architectes et ingénieurs impliqués dans l’aménagement, d’autres professions essentielles — comme les géomètres experts, urbanistes et géographes — peinent à se structurer en ordres professionnels. Cela limite la diversité des expertises qui devraient participer à la réflexion autour de l’urbanisme.
Vers une libéralisation nécessaire
Pour remédier à cette situation, il est crucial que l’État concentre ses efforts sur des tâches qui lui incombent exclusivement : élaborer des lois et documents de planification, assurer leur respect rigoureux, et garantir la viabilisation des espaces destinés à de diverses activités. Cela doit se faire en parallèle d’une politique d’amélioration des conditions d’emploi qui favoriserait des salaires dignes, permettant ainsi aux populations de devenir les véritables acteurs de leur habitat, grâce à des constructions encadrées par des professionnels qualifiés.
L’infrastructure, un maillon faible
L’aménagement des infrastructures est un aspect souvent négligé dans la planification urbaine de N’Djaména. L’extension urbaine n’a pas été accompagnée d’une amélioration proportionnelle des réseaux d’assainissement. Ce manque de coordination se double d’une insuffisance des services de gestion des déchets solides, exacerbée par des comportements inciviques au sein de la population. Cette combinaison entraîne des obstructions fréquentes des systèmes d’évacuation des eaux, rendant leur fonctionnement aléatoire.
Impact des constructions sans normes
Les constructions érigées sans effectuer une évaluation environnementale adéquate exacerbent encore les problèmes existants. L’utilisation systématique de pavés, imposée par la commune, a contribué à l’artificialisation des sols, aggravant l’exacerbation des inondations, notamment dans une ville où les événements climatiques extrêmes deviennent fréquents. Des solutions telles que l’intégration d’infrastructures vertes, capables de filtrer les eaux pluviales et de réduire les îlots de chaleur, n’ont pas été mises en place, mettant en péril la vie des habitants.
Le malaise de N’Djaména : un appel à l’action
Il est évident que N’Djaména est en crise. Plutôt que de chercher à délocaliser la capitale pour des raisons géostratégiques, il serait plus judicieux de se concentrer sur un diagnostic approfondi des problèmes auxquels la ville fait face. Pour permettre un renouveau, un document de planification robuste pour la ville et sa périphérie est crucial.
Le projet de création d’une ville nouvelle, qui émerge des discussions politiques, doit prendre en compte la dynamique de croissance de la population et les nécessités d’aménagement. Des propositions pratiques alternatives, notamment le développement de centres urbains secondaires, devraient également être envisagées pour désengorger N’Djaména.
Approche de l’aménagement urbain
Avec une population croissante, la gestion urbaine doit s’accompagner d’une régulation des effectifs dans différents quartiers. Cela nécessite une attention particulière au remplissage des vides interstitiels, ainsi qu’un suivi des opérations de lotissement. Actuellement, un trop grand nombre de terrains sont laissés à l’abandon ou sont exploités sans la prise de mesures techniques minimales pour assurer leur viabilisation.
Une vision sur le long terme
L’histoire de N’Djaména, bien que marquée par des débuts prometteurs, a été ternie par un manque de vision d’ensemble. Les prémices de la planification urbaine ont été étouffés sous des décisions précipitées et un développement chaotique. Un diagnostic urbain participatif et inclusif permettrait d’éclairer les choix à faire concernant les fonctions et vocations des différents quartiers.
Le rôle des politiques publiques
Les autorités en place doivent établir un Comité chargé d’élaborer un Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) en vue d’opérations de restructuration significatives. Ce processus devrait s’inspirer d’exemples internationaux, comme Paris, qui a su donner un nouvel élan à son développement grâce à des travaux ambitieux de restructuration urbaine.
Une planification numérique pour l’avenir
La récurrence des inondations et les défis environnementaux tels que les îlots de chaleur amènent à repenser l’occupation des sols au Tchad. La priorité devrait être donnée à des sols acquittés en matière d’urbanisation, tandis que les sols fertiles devraient être préservés pour l’agriculture. L’alternance entre zones d’habitation et espaces cultivés pourrait offrir un cadre de vie plus agréable.
Engagement citoyen : l’Observatoire Virtuel sur les Inondations (OVIT)
Face à ces défis, la nécessité de fédérer les compétences et les connaissances se fait ressentir. Dans cette optique, la création de l’Observatoire Virtuel sur les Inondations au Tchad (OVIT) représente un progrès notable. Né de l’initiative du Groupe Media Visionnaire, ce projet vise à rassembler des experts et citoyens autour de la problématique des inondations. AVIT est une plateforme dédiée à l’échange d’informations et de propositions concrètes afin d’orienter les décideurs dans leurs choix.
Cet engagement citoyen, fruit d’une responsabilité collective, sera déterminant dans la transformation de l’urbanisme au Tchad. En réunissant cadres et experts, nous pourrions non seulement impacter notre environnement immédiat, mais également renforcer le bien-être de nos communautés.
Conclusion
La reconstruction de la ville de N’Djaména ne doit pas être perçue comme un simple projet de réhabilitation, mais comme une réelle opportunité de repenser notre rapport à l’urbanisme, à l’écologie et à la participation citoyenne. C’est cela le véritable défi : bâtir un avenir où chaque habitant de N’Djaména peut jouir d’un cadre de vie qui lui soit favorable.
Que cette réflexion commune et ces actions concertées apportent les solutions nécessaires pour redonner à N’Djaména la place qui lui revient, celle d’une capitale moderne, inclusive et durable !
Écrit par Tob-Ro N’Dilbé, Maître de Conférences en Géographie urbaine et Urbanisme, Enseignant-Chercheur-Consultant à l’Université Adam Barka d’Abéché, le 6 septembre 2024.